De Saint Augustin aux horloges atomiques actuelles, en passant par Descartes, Kant, Bergson et Ferdinand Gonseth, les penseurs européens ont soumis Ie temps à une élaboration théorique impressionnante et particulièrement perspicace. Tantôt abordé comme concept, plus souvent traité comme une de ces « données immédiates de la conscience » en-deçà desquelles il est malaisé à I’intelligence de retourner, ou défini par Kant comme une des deux formes a priori de la sensibilité, Ie temps peut être certainement considéré comme un des thèmes permanents de la métaphysique et de la physique européennes.
De nos jours, tandis que s’estompent à l’horizon les intuitions d’un Newton qui tenait I’espace et Ie temps pour des sens de Dieu (sensorium dei), l’agir quotidien de l’ensemble de l’humanité apparait comme gouverné par une conception du temps et un sens de I’espace qui l’un et l’autre commandent une stratégie qui se déploie à l’échelle de la planète.
Nous avons coutume d’appeler développement l’ensemble complexe des phénomènes globaux suscités et entretenus par cette conception du temps et ce sens de l’espace. C’est la raison pour laquelle je me propose de consacrer ma présente communication à la mise en lumière de quelques mécanismes de la situation globale actuelle. Cela se fera à la faveur
d ‘une méditation sur Ie temps conçu comme réalité vécue . La première partie de mon exposé sera donc consacrée à une phénoménologie de la temporalité subjective. Dans la deuxième partie, j’examinerai Ie temps à partir du groupe social comme lieu d’insertion du sujet pensant désormais certain de son être-au-monde . Puis dans la troisième partie, j’étudierai notre conscience du développement vécue comme une expérience interindividuelle, intra et inter-sociale.
I. Phénoménologie de la temporalité subjective
S’il est si difficile de penser au temps sans Ie relier à l’espace, c ‘est que la conscience qui est à la fois Ie lieu et Ie moteur de la pensée sous toutes ses formes, avec et y compris la pensée du temps, est essentiellement mouvement. Pour comprendre cette assertion, je propose qu’on examine notre expérience…
Études de philosophie interculturelle, tome 8 (1997), p. 251-265